TRAVAIL DU BOIS : ENTRE TRADITIONS, CONVENTIONS ET GROS BONS SENS

Jusqu'il y a quelques années, j'avais une collection de vieux ouvrages; dont certains dataient d'avant 1940, quand je n'étais qu'un petit garçon. Ces livres servaient de compléments à ce qui était enseigné dans les écoles de métier. Ils ont maintenant disparu, tout comme les écoles de métier et les connaissances de base que tout artisan devrait posséder.

La fiabilité des instruments de mesure et des instruments de référence

Idéalement, on devrait toujours utiliser la même règle, et on devrait opter pour une règle pliante en bois de bonne qualité. Toutefois, ce choix n'est valable que si tous vos projets ne requièrent pas de mesures excédant deux mètres (ou 6 pi). Tôt ou tard, un ruban à mesurer s'avère indispensable. Cela dit, il faut savoir qu'une mesure prise avec l'intérieur du crochet d'un ruban à mesurer ne sera pas la même qu'une mesure prise avec l'extérieur du crochet. Les fabricants prévoient bien un jeu pour compenser cette différence, mais ce n'est jamais parfait. Les seules mesures qui sont vraiment fiables sont celles qu'on transfère directement d'une pièce à une autre, ou d'un dessin d'atelier sur une pièce. Lorsqu'un grand degré de précision est requis, mieux vaut alors faire ses marques avec un couteau à tracer, ou encore avec un crayon à mine dure, par exemple un 3H, finement aiguisé. La règle en bois devrait aussi reposer sur son chant pour que ses graduations touchent directement la pièce. Avec un ruban à mesurer, on peut couper un peu plus long que nécessaire, puis ajuster la coupe par la suite.

Il existe deux types d'équerres (figure 1). Il y a celles qui sont faites de deux pièces indépendantes réunies au moyen de rivets en laiton. Le très beau modèle ancien d'équerre en palissandre avec une lame en acier bleui et beaucoup de laiton en est un bon exemple. Puis il y a les équerres usinées dans une même pièce de métal, comme l'équerre de menuisier. Chose sûre, ne vous pressez pas pour acheter une équerre. Vous devez prendre le temps de vérifier que l'équerre que vous souhaitez ramener à la maison est bien d'équerre. C'est particulièrement important pour une équerre faite d'une seule pièce. Mieux vaut qu'elle soit parfaite au départ, car il faudra beaucoup d'efforts pour la corriger, le cas échéant. Une équerre composée de deux pièces peut, selon la fabrication et la qualité, perdre son exactitude. Une chute sur un plancher dur peut certainement la fausser. Il est cependant assez aisé de la corriger : quelques coups avec un maillet en bois peuvent suffire. Dans tous les cas, il faut vérifier une équerre régulièrement.

En passant, un ébéniste chevronné n'a pas besoin d'une équerre pour tronçonner une planche bien à 90°. Il se contentera de regarder le reflet de la planche sur la lame de la scie. Si le bord de la planche forme une ligne droite continue avec sa réflexion, la coupe est alors d'équerre.

De la même manière qu'une équerre, un niveau peut perdre de sa précision. Pour cette raison, il vaut toujours mieux utiliser le plus grand niveau possible, et faire la lecture deux fois. Ce que cela signifie, c'est qu'une fois la première lecture effectuée, on tourne le niveau bout pour bout et on procède à la deuxième lecture. Deux lectures identiques signifient que le niveau est en parfaite condition. Corriger un niveau peut s'avérer compliqué. Selon le niveau, ce peut même être impossible. Cela implique de briser le plâtre de Paris, ou tout autre matériau qui retient la fiole en place, de la nettoyer et de la remettre en position. Cette dernière opération doit être faite sur une surface parfaitement de niveau, exempte de risque de coups ou de chocs. Enfin, il faut remettre du plâtre de Paris, de l'époxy ou tout autre matériau approprié pour immobiliser la fiole.

Le fil du bois

Si on peut se le permettre malgré les pertes élevées que cela engendre, le sens du fil idéal pour des pieds de table, de bureau ou de chaise est celui illustré par la figure 2.

En orientant ainsi le fil du bois, les quatre côtés des pieds sont identiques, de même que les pieds entre eux.

Le veinage (le motif créé par le fil du bois) d'une pièce à la verticale devrait être orienté comme le montre la figure 3.

Si le veinage est orienté plutôt comme dans la figure 4, ce n'est pas bon, car, comme le stipulait un de mes livres de classe, les arbres ne poussent que dans un sens, et c'est vers le haut.

Si les côtés d'un tiroir ont tendance à voiler, ils devraient le faire vers l'intérieur du tiroir. On évite alors que le tiroir ne se coince dans le meuble. Deuxièmement, si le fil d'un côté de tiroir court de l'avant à l'arrière, il sera plus aisé de le raboter pour l'ajuster si nécessaire.

Tout le monde fait comme ça!

Ça doit donc être correct! Pas vrai? Prenons un assemblage à enfourchement : deux pièces d'égales épaisseurs sont assemblées pour former un angle de 90°. Invariablement, la tendance vise à séparer l'épaisseur des deux pièces en trois parties égales, le tout parfaitement proportionné (figure 5).

Pour tout dire, il s'agit d'un assemblage assez médiocre. En effet, il ne possède aucune force mécanique; sans colle, les pièces se sépareront. Pire, la quantité de bois enlevée sur une pièce pour créer la fourche équivaut à un tiers de son épaisseur. Quant à la pièce mâle, les deux tiers ont été enlevés pour créer le tenon, ce qui est beaucoup trop. Peu importe l'assemblage choisi, aucune pièce ne devrait perdre plus de la moitié de son épaisseur, sans quoi la pièce, et par le fait même l'assemblage, perdra sa solidité. Au lieu de séparer l'épaisseur en trois, il faudrait la diviser en quatre (figure 6). Ce faisant, chaque pièce perd la même quantité de bois en épaisseur. Ce qui rend cet assemblage peu solide, c'est qu'aucune pièce n'est captive; elles peuvent bouger l'une par rapport à l'autre avec les saisons et, éventuellement, la nature l'emporte. L'assemblage commencera à ouvrir près des bords extérieurs. Les pièces ne se sépareront pas immédiatement, mais jusqu'à ce que cela se produise, les surfaces seront décalées et le tout aura l'air mal en point. Un bon assemblage à tenon et mortaise est de loin préférable.

La figure 7 illustre une autre chose que l'on croise parfois.

Le principe semble logique. Une tablette, ou une traverse, est souvent utilisée pour empêcher les côtés d'une bibliothèque, d'une armoire ou d'une commode de s'incurver vers l'extérieur. Un seul des trois exemples est cependant correct. Le premier à rejeter est la queue d'aronde complète. Une queue complète exige bien plus de travail qu'une queue d'aronde bâtarde, sans être plus efficace. Qui plus est, si des corrections doivent être faites pour que l'ajustement soit parfait, il y a un risque que la tablette ou la traverse finisse trop haute, ou trop basse. Ce n'est pas anodin lorsqu'il s'agit d'une ouverture pour un tiroir. Le second cas à écarter est la queue d'aronde bâtarde orientée vers le bas. Toute coupe effectuée sous la tablette réduit sa capacité de charge. Dans le cas d'une bibliothèque, c'est un point primordial à considérer. Mais même lorsque la charge n'est pas un facteur, on peut rejeter cet assemblage parce qu'il a l'air incorrect.

Il ne reste plus que la queue d'aronde bâtarde orientée vers le haut. Elle procure toute la solidité nécessaire, sans réduire la charge maximale que pourra soutenir la tablette.

Cela dit, je suis toujours un peu surpris de voir des tablettes ou des traverses à queue d'aronde. Je ne veux pas dire que cet assemblage ne devrait pas être utilisé. Au contraire, c'est une excellente façon de faire. Je me demande simplement pourquoi certains artisans tiennent à tout prix à ce qu'on voit ce qu'ils ont fait. Invisible sur la façade du meuble, un assemblage à queue d'aronde borgne serait tout aussi solide et donnerait une apparence plus soignée au meuble. Moins longues à façonner que des queues d'aronde apparentes, les queues d'aronde borgnes n'attireront pas le regard scrutateur de tout un chacun. Quant à la solidité, je ne vois pas de différence entre un assemblage apparent et un assemblage dissimulé.

Une chance sur deux d'avoir raison.

Si vous hésitez entre deux options, vous risquez de vous tromper. Voici un bon exemple. Une porte de style grange est facile à fabriquer et convient très bien à une remise de jardin, une cabane en bois rond et à d'autres constructions d'allure rustique. Ce type de porte est constitué d'une série de planches verticales maintenues ensemble par des traverses horizontales. Une pièce de contreventement placée en diagonale prévient l'affaissement de la porte. Le contreventement est sans doute le composant le plus important dans une telle porte; c'est lui qui fait en sorte que la porte garde sa forme et ne s'affaissera pas. La figure 8 montre une porte dans son ouverture. Le contreventement va du haut, côté charnière, vers le bas dans le coin opposé, côté loquet. Mais ce contreventement ne sera pas d'une grande aide pour empêcher la porte de s'affaisser. La porte de la figure 9 est bien conçue. Son contreventement est orienté de manière à garder la porte d'équerre. La figure 10 montre quant à elle la bonne façon de joindre le contreventement aux traverses : la pression exercée est alors répartie également sur tous les composants.

Adrian C. van Draanen